Noël, on s’embrouille !

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Noël, ça représente quoi pour vous ?

et pour moi aussi ?
A vrai dire, on s’y perd un peu ! On ne sait plus très bien ! Est-ce une fête religieuse ou est-ce une fête commerciale ? Regardons cela de plus près.
Noël, c’est, en latin,  ‘’natalis dies ‘, le jour de la naissance. C’est donc la fête de l’enfant. Oui, mais de quel enfant ?
Les commerces ont sorti leur assortiment de jouets pour les enfants mais aussi  de victuailles pour les adultes ! Les Mairies déploient leurs guirlandes et leurs sapins en mêlant joyeusement Noël et le jour de l’an. Les familles distribuent les invitations pour le repas de midi. Et les églises, quand elles le peuvent, font répétition avec la chorale. Avant, on allait à la messe de Minuit (d’ailleurs, pourquoi Minuit ?) ; il y a quelques décennies, après le premier repas de famille, le soir, on allait écouter le grand air du « Minuit chrétiens » chanté par un bon ténor, un peu comme à l’Opéra, et puis on revenait « réveillonner ». Mais il n’y a plus de messe à Minuit parce qu’il n’y a plus assez de curés. Elle avait son charme, comme toutes les manifestations nocturnes.
Alors on cherche un bon spectacle ou bien on va au cinéma voir un film de Walt Disney avec les enfants ou bien on reste tranquillement chez soi et on prolonge la veillée mais sans les enfants car demain, à la première heure, ils seront debout pour découvrir leurs cadeaux.


Nous, qui avons été élevés dans une société encore marquée par la religion, nous savons que Noël, c’est la fête de la naissance de Jésus. Mais quel avantage y-a-t-il à répéter cette fête chaque année ?

Regardons cela de plus prés. Nous fêtons Noël un 25 décembre ? Pourquoi cette date ?
Les 4 évangiles qui sont notre seule source d’information sur cet évènement n’en disent rien. Il faut donc chercher du côté des autres évènements qui ont pu se passer à cette époque de l’année. Les romains y célébraient des fêtes en l’honneur du dieu Saturne, un dieu en provenance directe de la mythologie grecque ; elles étaient accompagnées de grandes réjouissances populaires. Durant cette période de l’hiver, les barrières sociales disparaissaient un temps pour représenter l’égalité qui régnait primitivement parmi les hommes. On organisait des repas ; on échangeait des cadeaux ; on offrait des figurines aux enfants ; on décorait les maisons avec des plantes vertes, notamment du houx, du gui et du lierre. Les esclaves – et ils étaient nombreux à Rome – pouvaient dire ce qu’ils pensaient. Mais cela ne durait que quelques jours lors du solstice d’hiver vers le 20 décembre, c’est à dire lorsque les jours qui diminuaient progressivement depuis juillet se mettaient à rallonger. La lumière triomphait des ténèbres !

On célébrait aussi le 25 décembre le culte de Mithra, divinité venue de la Perse (l’Iran d’aujourd’hui) et incarnant la lumière.
Ce serait l’Empereur romain Constantin qui, après sa conversion, aurait décidé de célébrer la naissance de Jésus le 25 décembre, donc au 4ème siècle seulement ! C’est d’ailleurs son épouse qui a inventé le lieu de naissance de Jésus et y a fait construire une basilique ! Le tout premier Noël aurait ainsi été célébré vers l’an 336, à Rome (Italie). Soit plus de 300 ans après la naissance de Jésus !

Nous avons gardé de ces fêtes païennes deux choses au moins : une fête des enfants avec sa distribution de cadeaux et le symbole de Jésus assurant la victoire de la lumière sur les ténèbres mais en passant de la lumière physique à la lumière spirituelle.

Quant à la date exacte de la naissance, elle fait l’objet de bien des discussions. A vrai dire, on ne sait même pas très bien en quelle année cela s’est passé. Que disent les évangiles dits « canoniques », c’est à dire reconnus par ‘’l’Institution église’’, à côté de bien d’autres ? Marc et Jean, comme on l’a vu, n’en disent rien. Marc d’ailleurs ne commence son évangile qu’à la rencontre de Jésus avec Jean le baptiste et à son baptême. Matthieu, très concis sur la naissance, dit seulement « né à Bethléem de Judée au temps du Roi Hérode ». (2,1) Or on sait par l’histoire que Hérode le grand a régné de –37 à –4 avant Jésus Christ. Si nous prenions en compte cette précision apparente, nous devrions dire, avec humour, que Jésus serait né au plus tard … en moins 4 « avant Jésus Christ » ! Cocasse ! Pourquoi moins quatre ? Ceci est une autre histoire : une erreur de datation du moine Denys le Petit qui, au 6éme siècle, a proposé de substituer au calendrier romain encore en vigueur un calendrier chrétien à partir … précisément de la date incertaine de la naissance de Jésus ! Et il s’est trompé de quelques années ! Mais le nouveau calendrier est resté !

Il existerait un autre point de repère historique. Luc situe la naissance à l’occasion d’un recensement. Or l’histoire nous indique en effet que Quirinius a été légat de l’Empereur romain pour la Syrie, à laquelle l’empereur Auguste a rattaché la Judée et la Samarie ; or Quirinius ordonna  un recensement de toute la population.  L’objectif du recensement ? Comme toujours, pour mieux organiser la perception des impôts. Mais nous savons qu’un tel recensement n’eut lieu qu’en l’an 6 de notre ère ! Ainsi d’après Luc, si l’on s’en tient à ces données historiques-là, Jésus serait né … en l’an 6, lors de ce recensement ; Or, comme nous venons de le voir plus haut d’après les indications de Mathieu, à l’époque du recensement, il aurait déjà fêté ses 10 ans (moins 4, plus 6). Rappelons-nous seulement que les écrivains de l’époque ne s’embarrassaient pas d’une chronologie authentique; ils regroupaient dans un seul récit des faits antérieurs ou postérieurs à un événement qu’ils utilisaient comme des matériaux de construction divers ; l’objectif était de donner un sens particulier à un évènement. L’essentiel était ailleurs, à savoir la démonstration qui devait induire une conviction. Les évangiles ont été écrits comme pense-bêtes pour les prédicateurs.
Ce recensement de l’an 6 fut d’ailleurs combattu par un certain Judas dit le galiléen qui fonda alors le groupe des Zélotes, farouches combattants ennemis des romains, dont feront certainement parti des disciples de Jésus. Mais son soulèvement fut promptement réprimé, comme bien d’autres, par l’occupant. Luc ne cherche pas à indiquer une date historique, mais en référant sa naissance au recensement, il place Jésus dans un pays occupé, soumis à l’autorité romaine, ce qui, à l’époque où il écrit, a de l’importance; il y eut plusieurs révoltes juives, animées par de nombreux résistants qui se présentaient aussi comme « messies ». Elles étaient durement réprimées par l’occupant. Au-delà des histoires qui ne sont pas de l’Histoire, il convient de voir à travers ces symboles, les vraies significations de ces écrits. Prenons-nous pour vérité d’évangile les récits de Roland à Roncevaux et de sa fidèle Durandal… ? Comme le dit un grand exégète : « Pour être correctement compris, dit Daniel Marguerat, un texte doit être situé dans l’histoire qui l’a produit.»

Qui est Jésus ?
Dans la société juive, un fils ou une fille sont toujours le fils ou la fille d’un homme, leur père ; on ne cite jamais la mère. Dans l’évangile de Marc, Il y est raconté que, dans la foule, quelqu’un cria à propos de Jésus : « N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie ? » (Mc 6/3) Cette manière d’identifier quelqu’un par « fils de Marie » est tout à fait inhabituelle dans la bible. Un bon juif est toujours référencé par rapport à son père : il est toujours fils de … papa; on le verra notamment lorsqu’on parlera de généalogie. Chez Marc d’ailleurs, on retrouve en permanence ce type d’expression. Lorsque Jésus appelle ses disciples, ils sont désignés ainsi : « Levi, fils d’Alphée ». (Mc 2/14) Et plus loin, «Il vit Jacques, fils de Zébédée.» (Mc 1/19) L’expression « Jésus, fils de Marie », ce sont les gens de Nazareth, le village où il a vécu toute son enfance qui l’utilisent. Ils connaissaient bien la famille, évidemment, 30 ans de voisinage ! Ils s’étonnent de l’entendre parler si doctoralement dans leur propre synagogue. « N’est-ce pas le frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas parmi nous ? » (Mc 6/3) Or, l’évangile de Marc, le plus ancien des évangiles, est donc le plus proche de l’époque de Jésus. Pourquoi donc cette appellation insolite « Jésus, le fils de Marie » et non le fils d’un homme X, comme traditionnellement ? Voir par exemple les généalogies que présentent Matthieu (Ch. 1) et Luc (3,23). A vrai dire, il n’est donc le fils de personne.
Cela vous étonne ? Cela étonnait aussi ses contemporains. Les  auteurs des deux seuls évangiles qui parlent de sa naissance ont rapporté une légende d’anges qui apparaissent et délivrent aux hommes les messages que dieu est censé leur envoyer. A les croire, c’est l’esprit de dieu qui a rempli le rôle de père. On se rappelle l’esprit de dieu planant sur les eaux en début du livre de la Genèse pour les féconder. Ainsi est composée la bible par des écrivains juifs : on prend ici ou là un évènement et on l’applique à un autre évènement pour lui donner un sens nouveau. On appelle cela le Midrash. On y reviendra.


Où est-il né ? Bethléem ou Nazareth ?
La petite bourgade de Bethléem en Judée, à 10km au sud de Jérusalem, est ici mentionnée par les évangélistes seulement à titre symbolique encore une fois, parce qu’elle est la ville de David, là où David (futur roi d’un peuple… qui n’aurait jamais dû avoir de roi !) a été oint d’huile (marque solennelle de désignation par une mise à part du peuple = notion de sacré), onction donnée par le prophète Samuel (Sam.16, 1-13). C’est le grand roi David qui instaura Jérusalem comme capitale et y apporta l’arche d’alliance. Il est aussi perçu comme l’ancêtre annoncé d’un Messie qui, espérait-on, serait Le Sauveur, à savoir celui qui devait restaurer un jour la suprématie militaire et religieuse d’Israël sur la région et le libérer de l’occupation romaine. Jésus a pourtant toujours refusé d’entrer dans ce modèle ! Luc parle de la ville de David ; il fait dire à l’ange annonciateur, bien renseigné: « Aujourd’hui, dans la cité de David, un Sauveur vous est né… »  Matthieu, lui, introduit David dans la généalogie. Dans une courte généalogie (1, 1-17) il fait descendre Jésus d’Abraham et de David. On reparlera dans un autre document de la dite  naissance virginale (1). Comme l’histoire du recensement est une mise en scène et le nom de Bethléem, un symbole pour placer Jésus dans la lignée de David, les exégètes actuels pensent que Jésus est né plus simplement à Nazareth, en Galilée, bourgade de 400 habitants, dans le Nord du pays, là où vivait sa mère, et non dans l’étable d’un caravansérail, les petits hôtels ruraux de l’époque. La Galilée, c’était son pays ; il y a beaucoup marché à travers ces petits villages durant ses années de prédication ; c’était  un rural ; notons que c’est là aussi que les auteurs fixent le rendez-vous d’après sa « résurrection ».

Il faut savoir que la bourgade de Nazareth était située à 7kms seulement d’une très grande ville appelée Sépphoris, cité prospère, 30.000 habitants, capitale de la Galilée, ville très marquée par l’influence grecque. Des chercheurs pensent même que Jésus a travaillé à sa construction avec Joseph. Pourtant, étonnamment, les évangiles n’en disent pas un mot; surprenant, Non ? Ils ne parlent que des petites bourgades rurales. Les évangiles, c’est une histoire rurale ! Pas un mot non plus de la ville capitale Tibériade (la ville de Tibère), un peu comme si, dans un récit à consonance historique, on parlait de Romorantin sans citer le nom de Paris ! Jésus a donc plutôt fréquenté les villages de la verdoyante Galilée du Nord mais s’est écarté des grands centres urbains considérés comme païens, ce qui correspondait à l’attitude des juifs très pieux. Se rappeler aussi que, à l’époque de la formation de ces textes littéraires que sont les évangiles (à partir de 70-80), il n’y a pas d’imprimerie ! Donc les documents écrits resteront ultra rares, propriétés par la suite de gens aisés ou d’institutions collectives. Et si on veut un deuxième exemplaire, il faut trouver un lettré qui le recopie à la main et sur du papyrus, avec tous les risques de modification (accidentelle ou même volontaire !) du texte initial. C’était le travail des moines copistes.

Nous connaissons tous l’histoire de la crèche.  Observons chacun des éléments du tableau.

Crèceh, Etable, mangeoire ?

Si nous pensons avec un certain nombre d’exégètes que Jésus est né plutôt à Nazareth dans la maison de Marie, étable et mangeoire n’ont plus de raison  d’être. Mais dans le récit, le symbolisme de la crèche ou de la grotte est un rappel du dépouillement et de l’humble cadre du lieu de naissance de celui qui n’avait pas une pierre pour reposer sa tête !

Le coup de l’étoile ?
Bien inventé celui-là ! Que penser de cette étoile qui, défiant toutes les lois de la mécanique céleste, après avoir guidé les rois mages, vient se poser juste sur cette étable et y demeure. « Attendez, les copines, faites un tour de plus et j’arrive ! » L’étoile du berger, la bien-nommée; c’est certainement celle-là dont il est question, celle qui bille un peu plus que les autres au firmament, surtout pendant les fraiches nuits de décembre ! Nous savons, nous, qu’il s’agit d’une planète du nom de Vénus et qu’elle brille à cause du gaz incandescent qui l’enveloppe, mais les évangélistes, comme les bergers, n’y voyaient qu’une balise sur le chemin, comme les mages avec leurs chameaux ! Comment un homme du 21ème siècle pourrait-il croire à cette ‘étoile ‘ qui aurait stationné au-dessus de l’étable ! Un joli conte pour enfants !

Les personnages :
Les bergers, tout d’abord ? Seul Luc en parle (2,8). Ils ont été inclus dans la pièce de théâtre pour représenter les classes modestes, mieux les exclus. En effet les gardiens de troupeaux aux alentours de Jérusalem n’en étaient généralement pas les propriétaires. Dans toute la région, les domaines appartenaient en priorité aux familles des grands prêtres et des prêtres du Temple. Ils étaient ainsi aux deux bouts de la chaîne puisqu’ils élevaient les moutons que les fidèles devaient acheter pour être sacrifiés au Temple. Et ils étaient aussi aux premières loges pour en récolter les fruits… et aussi les meilleurs morceaux à consommer ! Les bergers étaient donc des « employés », des petites gens, et, de plus, la loi juive, telle qu’appliquée à l’époque, les traitait d’impurs. Un comble ! Il convenait donc de s’abstenir de relations avec eux pour ne pas écoper soi-même de cette impureté rituelle. Ces notions de pureté et d’impureté étaient assez fondamentales dans les obligations nées de la Loi. D’ailleurs Jésus aura l’occasion de contrecarrer ce système de pensée. Les rédacteurs ont donc mis en scène cette venue des bergers pour signifier que Jésus cassait les codes de pureté rituelle et privilégiait les contacts avec ces gens humbles, ces exclus sociaux, comme cela se verra durant les années de sa prédication, par exemple dans ses relations avec la femme de Samarie, avec les lépreux, avec les publicains… Il expliquera d’ailleurs aux disciples cette conception de la pureté. Ce n’est pas ce que les hommes mangent qui les rend impurs mais ce qui sort de leur bouche et exprime les mauvaises intentions de leur cœur (Mat 15/10-20).
Marquons une pause. En analysant ainsi les textes, en les dépoussiérant, nous risquons de désenchanter Votre Noel ! Mais que préférez-vous ? Une foi basée sur les récits imagés qui ont peut-être enchanté votre enfance ou accéder à une compréhension et foi adultes qui découvre, à travers ces images, un sens fort qui peut avoir un impact sur notre vie quotidienne ?
Si vous avez choisi comme nous cette seconde hypothèse, alors nous pouvons continuer cette analyse.

 L’ange annonciateur et le chœur des anges au-dessus de la crèche?

On est un peu dans un scénario de pièce de théâtre. Les auteurs font une composition avec des éléments épars qu’ils rassemblent dans cette mise en scène dont l’objectif a une signification profonde mais rien d’historique. Ainsi en est-il de l’ange annonciateur aux bergers et du cortège des anges. Mais Luc avait déjà fait intervenir un ange, Gabriel,  ange de première classe, auprès de Zacharie, le père de Jean le baptiste (1,11); le même ange Gabriel (Qui l’avait baptisé ainsi ?) était déjà intervenu auprès de Marie (1,26); puis ce sera un ange (sans nom cette fois, et sans grade !) suivi d’une myriade d’autres anges qui se manifestera aux bergers de Bethléem (Lc 2, 8-20). Pour Matthieu, c’est aussi un ange sans nom qui annoncera l’événement de la conception miraculeuse à Joseph (Mt 1, 20) – nous avons ici à faire à une « exclusivité », comme on dirait aujourd’hui à la télévision -, mais il change le scénario : l’apparition opère « en songe » et non en vision comme les précédentes chez Luc. A chaque auteur son style et son scénario !

L’ange est censé être un messager de Dieu. Il descend du ciel, (le ciel physique étant censé être la demeure de Dieu), pour transmettre les ordres ou protéger les petits et les faibles. Dans l’AT, ils forment la cour et l’armée du Roi des cieux, comme un décalque des cours terrestres qui entourent tous les monarques. Plus tard les auteurs annonceront la venue du Fils de l’homme au jugement dernier entouré comme un roi par sa cour céleste (Mat 25,3) et on les retrouvera lors de la scène de ladite « résurrection » : « L’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus » (Mat 28,2). La poésie, l’épopée, la légende, le merveilleux, le miraculeux, ne sont-ils pas des genres littéraires aptes à dire les choses importantes; d’où le rôle des anges. Malheureusement, par manque d’esprit de compétence biblique, d’analyse et d’esprit critique, même les curés vont nous raconter cela en prenant les choses au pied de la lettre, au sens littéral, d’où les efforts que nous devons faire pour ramener les choses à leur sens fondamental, au cœur du Message.

Les « Mages »
L’évangile dit selon Mathieu est le seul à parler de « mages venus d’orient ». (ch.2) D’entrée de jeu, l’auteur leur fait dire : « Où est le roi des juifs qui vient de naître ? » Cette parole à elle seule est un crime de lèse-majesté ! Le « roi » des juifs ? Mais le seul roi ici, c’est le roi de Judée – le dernier, d’ailleurs –Hérode le grand Antipas, par désignation du Sénat de Rome en l’an 37 ou 40 avant JC. Se rappeler que les romains ne se sont emparés de Jérusalem qu’en 63 avant JC. Ce n’est pas vieux ! Mais on sent ici dans le récit de Matthieu comme un petit air de provocation vis à vis d’Hérode ! Plus tard, Pilate va se faire un malin plaisir d’utiliser ces mêmes termes en interrogeant Jésus lors de ses dernières heures : « Es-tu roi ? » ou encore en disant aux accusateurs : « Vais-je crucifier votre roi ? » (Jo. 18/39) Et sur la croix, l’écriteau, ironiquement composé par Pilate, portera : « Jésus, le roi des juifs » (27,38), ce qui amènera d’ailleurs la protestation des grand prêtres (plutôt collabos) : « il a seulement prétendu cela ! » (Jo. 19/21) Mais Jésus n’avait jamais prétendu cela ! Mathieu, dans son scénario de la naissance, a ici un double objectif : il veut montrer que même des gens qui ne sont pas juifs, des étrangers au peuple juif, viennent, jusque de l’orient lointain, reconnaître Jésus comme guide… alors que son propre peuple ne le reconnaîtra pas. Jean dira : « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. » Par ces quelques mots, Mathieu dévoile par anticipation cette opposition, qui va transparaître tout au long de son récit, entre Jésus d’un côté, et de l’autre Hérode et les milieux du temple (grands prêtres, pharisiens et scribes). Elle culminera dans le procès et la condamnation à mort de Jésus comme usurpateur et calomniateur. Pour manifester l’authenticité de son récit, Mathieu va, selon sa manière habituelle, justifier le présent en le présentant comme une réalisation, un « accomplissement » de la parole d’un prophète, Michée (5,1) en l’occurrence : « Et toi, Bethléem… »  Mathieu s’adresse en effet surtout à des juifs chrétiens. Il veut leur montrer comment les événements racontés réalisent des paroles anciennes ; il les montre comme des prophéties déjà présentes dans les écritures plus anciennes de l’AT : « Ils l’avaient déjà annoncé… », sans craindre même d’adapter les textes à sa propre interprétation. Le NT est alors présenté comme « l’accomplissement » des annonces de l’Ancien, son aboutissement, son point d’orgue. Jésus y est présenté comme celui qui vient réaliser l’ultime espérance du peuple juif, sa libération. Plus tard certains auteurs diront même que l’AT n’était bon qu’à cela, que c’était sa seule utilité ! N’oublions pas d’ailleurs que les écrits des évangiles sont imprégnés de la vision de l’après « résurrection », époque où ils ont été racontés, puis écrits. L’auteur préfigure ainsi toute la suite de son récit jusqu’aux dernières paroles mises dans la bouche du ressuscité : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples… » (28,16-20), une vision universaliste qui déroge aux habitudes de pensée d’Israël.
Mathieu, qui est le seul à mettre en scène les mages, envoie ensuite en Egypte Joseph, Marie et « l’enfant », – comme il est dit dans tout ce passage (2,13 à 33) sans prononcer le nom même de Jésus ! Il s’agit d’échapper aux fureurs d’Hérode, trompé par les Mages, qui aurait alors fait massacrer tous les enfants. Or on n’a jamais retrouvé trace d’un tel massacre d’enfants à cette époque. Par contre on sait que Hérode, lors de sa mort dans d’atroces souffrances intestinales, fit brûler vifs plusieurs jeunes gens. Pour quel motif ? Ils avaient entrepris, sous la conduite de deux  rabbins, de supprimer l’aigle d’or qu’il avait fait apposer en l’honneur de l’empereur sur la façade du temple de Jérusalem qu’il faisait reconstruire censément … à ses frais, pour s’attirer notamment les bonnes grâces des notables juifs ! On sait encore que Archélaos, fils d’Hérode et qui lui succède, dès sa prise de fonction à Pâques de l’an 4, pour faire cesser la protestation des juifs qui demandent justice contre la barbarie dont son père a fait preuve, en fait massacrer près de 3.000. Pâques sanglantes ! Quelle époque ! C’est l’époque où vivait Jésus. On sait encore que, pour mater la révolte juive qui s’en suit, le Légat romain de Syrie Varus fut spécialement envoyé par l’empereur Auguste. Après avoir dévasté la grande ville de Sépphoris, proche de Nazareth, et déporté ses habitants, il saccage Jérusalem et fait dresser deux mille croix humaines. Oui, époque barbare comme on ne nous l’a jamais raconté ! ! Mais il vaut mieux le savoir pour comprendre le contexte, les relations des juifs avec l’occupant romain et notamment le rôle des zélotes, ces sicaires, des « résistants », qui à l’occasion trucidaient au poignard un officier ou un soldat romain isolé dans une ruelle de Jérusalem. Certains résistants français ont osé ce geste. Jésus a vécu son enfance et tout le reste de sa vie dans ce contexte de violence.

Notons encore que Matthieu raconte l’arrivée des Mages par ces mots : «Entrant alors dans le logis, ils y trouvèrent Marie, sa mère, et l’enfant. » On dirait que Matthieu prend un malin plaisir à nous faire remarquer, une fois de plus, qu’ici il n’y a toujours pas de père pour Jésus !

Que peut-on dire de la famille ?
Joseph, d’abord
 
Il est mentionné cinq fois chez Matthieu, mais jamais chez Marc et Jean. Lors d’un passage de Jésus à Nazareth, Marc raconte : « Il vient dans sa patrie…et les gens disaient : « N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » (Mc. 6,1-3)  … Notons qu’ici, c’est Jésus qui est désigné comme charpentier. Mathieu, lui,  dit « le fils du charpentier » ! Matthieu et Marc utilisent cet épisode pour manifester que même chez lui, dans son patelin, on ne croyait pas en lui. Mais jésus est désigné « fils de Marie » et non fils d’un homme, comme partout ailleurs dans la bible. On ne sait rien de Joseph. Il sert surtout à Mathieu pour démontrer, grâce à une généalogie originale  via les seuls hommes (Mat. 1,1-17) et en 42 générations (une exclusivité encore), que Jésus est, par Joseph (bien que Joseph ne soit pas son père naturel !), le descendant du grand roi David (Roi d’ Israël de 1004 à 965 avant J.-C), imitant en cela, comme par décalque, la descendance (mythique) d’Adam jusqu’à Noé établie par les auteurs du livre de la Genèse. (Ch. 5). D’ailleurs pour bien spécifier cette attribut, Matthieu fait dire à l’ange : « Joseph, fils de David, ne crains point…  » (Mat. 1, 20). Jésus est donc le nouveau David ! Et Bethléem est la Cité où David, jeune berger encore, a été oint Roi d’Israël par le prophète Samuel. Luc, lui,  procédera à l’envers en remontant, via 57 générations, à partir de Jésus « qu’on disait fils de Joseph » jusqu’à « Adam, fils de dieu » ! (Notons au passage cette expression « qu’on disait ».. fils de Joseph. C’est la seule fois !)

On comprend tout de suite la raison d’être de ces drôles de généalogies ! Des symboles, pas de l’Histoire ! Quant au mot charpentier, il désignait quelqu’un capable de construire une maison de A à Z, ce qui fait de Jésus, non plus un pauvre ouvrier, mais plutôt quelqu’un de la classe moyenne qui a donc pu s’instruire à la synagogue et apprendre le grec, langue du commerce. On a déjà parlé ailleurs de la conception de Jésus d’après l’interprétation très sérieuse du théologien américain Mgr Spong.(2)

Marie
Elle pouvait avoir alors entre 12 et 15 ans. Marc racontera plus tard que sa parenté, « sa mère, ses frères et sœurs », étaient venus « s’emparer»de Jésus  parce qu’ils disaient : « Il a perdu la tête » ! (3, 21) A quoi Jésus rétorquera, en marquant sa rupture avec sa parenté : « Qui sont ma mère et mes frères ? Ce sont ceux qui agissent selon la volonté de Dieu. » (3,35) « Ma mère », dit-il. Notons qu’Il n’y a toujours pas de référence à un père de famille ! Jésus privilégiera toujours les liens des choix personnels à ceux de la nature, les relations créés par chacun personnellement plus que la famille naturelle. Jésus avait donc des frères et des sœurs et parmi eux, un frère, Jacques, qui sera le premier responsable de la communauté de Jérusalem, comme pour une succession familiale !

Dans ce qui concerne la naissance de Jésus chez Luc, ce ne sont pas les rapports sexuels qui sont visés, contrairement à tout ce que les élucubrations théologiques postérieures ont fait de Marie (virginité, immaculée conception, culte marial…). N’oublions pas d’ailleurs qu’ils sont imprégnés de la vision de l’après « résurrection », époque où ils ont été racontés puis écrits. La virginité de Marie prendra par la suite une importance considérable dans le christianisme à cause de ses positions sur la sexualité, aujourd’hui complètement dépassées. Alors pourquoi Luc s’attarde sur cette conception sans père ? Sans homme, pas de conception. Il y a une impossibilité humaine. Donc Luc veut démontrer que ce qui est impossible à l’homme est possible pour dieu ; il va montrer ainsi le choix (Jésus est prédestiné) et la puissance de Dieu. Les fondamentalistes, tous ceux qui n’ont qu’une lecture fondamentaliste des évangiles, ceux qui continueront malgré tout à prendre ces textes à la lettre, matériellement, sans chercher en comprendre la signification cachée, vont s’acharner sur cette question de virginité …(Voir le livre de Spong : « Sauver la Bible du Fondamentalisme ») Il s’agit ici simplement de mettre en valeur une naissance en puissance qui s’inscrit dans la tradition juive de l’élection d’un nouveau-né, cette naissance étant rapportée directement à Dieu, un symbole fort. Pensons à Isaac (Abraham a 99 ans et Sara 90;  et Abraham de pouffer de rire lorsque Yahvé lui promet une descendance ! Gen. 17)). Pensons à Samuel (né d’une mère, Anna, qui était stérile 1Sam 1), et même, plus proche, à Jean le Baptiste, son cousin, né d’une femme de la tribu sacerdotale d’Aaron mais stérile et âgée (Lc 1, 7).
Pensons aussi aux récits de naissance attribuée aux empereurs romains. Chaque fois, un dieu ou une divinité apporte son coup de pouce ! Luc place Jésus/Ieshoua au centre de l’histoire. Pour lui, Iéshoua et son évangile ouvrent à l’humanité la porte du salut. Le messie est en effet venu, député par son père IHVH-Adonaï Elohîms, pour sauver ceux qui sont perdus, c’est-à-dire tous les hommes.  « Il est né pour vous aujourd’hui un Sauveur. »

C’est parce qu’il convenait de placer Jésus très haut que sa naissance a été magnifiée au point de le faire naître lui aussi d’une vierge et de la seule volonté de Yahvé. Et non l’inverse ! Or, si la qualification « virginale » est mise en valeur chez Luc (1, 27), puis Matthieu (1, 23), il s’agit d’une reprise de la prophétie d’Isaïe (Is 7, 14) citée explicitement par Matthieu ; on annonce au roi Achaz qu’une jeune fille ou jeune femme, primipare (qui n’a pas encore accouché), lui donnera un fils, qui sera appelé Emmanuel (= Immanou El, Dieu avec nous !). Comme toujours les citations extraites de l’ancien testament veulent montrer que tout cela était prévu de longue date ! La Septante traduisit cela par «vierge», ce qui n’est pas tout à fait la même chose, car la jeune fille/femme en question était censée avoir eu des relations sexuelles avec son royal époux ! De nombreux exégètes pensent qu’il s’agissait de l’annonce de la naissance d’Ezéchias, lequel succèdera à son père Achaz, roi de Judas (736-716) et règnera à sa suite de 716 à 687.
Toujours est-il Jésus n’a pas de père ! Essayons d’être réalistes. Si Jésus était né à Bethléem, cela voudrait dire que Marie, enceinte de 9 mois, aurait  fait le trajet depuis Nazareth où elle vivait jusqu’à Bethléem au sud de Jérusalem. Trois bons jours de marche pour une personne normale.  Continuons. L’évangéliste, on le verra, envoie Marie, Joseph et l’enfant en Egypte pour échapper à la vindicte supposée du roi Hérode alors que Marie vient juste d’accoucher et donc que l’enfant n’a que quelques jours ! Invraisemblable ! Mais nous nous nous sommes laissé bercer par la poésie et le charme de ces récits.

Il vous est né un Sauveur ? Aujourd’hui, il appartient aux hommes de notre génération de s’interroger : en quoi est-il aussi pour nous un « sauveur », aujourd’hui en 2023 ? De quoi avons-nous besoin d’être sauvé, délivré, pour accomplir pleinement notre être, notre humanité profonde, notre humanisation personnelle et collective ? Quel salut en particulier attendent dès aujourd’hui tous ceux qui peinent à joindre les deux bouts, les malades, les exclus, les enfants abusés, les femmes battues ou violées ? C’est en réponse à cette question concrète et immédiate qu’est née la théologie de la libération, une théologie à partir de la pratique et pour la pratique, et non à partir de concepts abstraits comme « le salut », surtout lorsqu’il est conçu habituellement et faussement comme le salut … après la mort !

Les évangiles ne sont pas des « vies de Jésus » telles que nous concevons les biographies aujourd’hui. Ils sont des témoignages de la foi des premières communautés chrétiennes. Ce ne sont pas des documents historiques. Ils datent de l’an 70 pour Marc et 80-85 pour Mathieu et Luc, donc rédigés bien longtemps après les événements (70 ans après le fait de la naissance !) même si, dans la rédaction qui nous est parvenue, ils s’inspirent de morceaux plus anciens. Ils sont un enseignement embelli, magnifié, donné aux premières communautés chrétiennes, spécialement à celles d’Asie mineure, comme Antioche ou Alexandrie, mais aussi aux juifs très nombreux qui ont fui la Palestine pour échapper aux représailles des colonisateurs romains. Ils sont aussi un écho de ce qui était présenté aux païens; il fallait, pour les convaincre, leur montrer que ce Jésus et son Dieu étaient bien supérieurs aux dieux à qui ils offraient des sacrifices. Toutes les démonstrations sont bonnes pour mettre en super-valeur la personne de Jésus,  en faisant de lui un être supérieur à toutes les autres formes de dieux, car ces païens  arrivent en nombre dans les communautés sur tout le pourtour du bassin méditerranéen, celui qu’a parcouru Paul, celui qui composait l’immense Empire Romain.

En conclusion …temporaire de ce bref essai. Il est difficile de retrouver vraiment le Jésus de l’histoire au-delà du Jésus qu’ont fabriqué la foi, les croyances et les dogmes des générations précédentes. Nous en avons pourtant besoin si nous ne voulons pas nous laisser bercer par les images pieuses mais déformées que toute une « tradition » a véhiculées et qui ont bercé notre enfance. Mais il faut devenir adulte, là aussi ! Or nous disposons aujourd’hui d’outils plus scientifiques pour mieux percevoir ce que fut l’histoire réelle de ce Jésus de Nazareth, et mieux la reconstituer. Il devient alors possible de  replacer les différentes croyances dans le contexte de leur époque, de retracer leur évolution à travers les siècles, dans une relative liberté de pensée et de recherche que les générations précédentes peuvent nous envier. Cela suppose de vouloir aller au-delà de tous les présupposés et d’utiliser courageusement les quelques outils que la recherche met à notre disposition. Nous risquons de nous heurter à ceux qui veulent s’en tenir aux images de leurs premières années ! C’est tellement plus rassurant ! Malheureusement ceux qui pourraient le faire avec autorité craignent souvent, comme ils le prétendent, de « troubler » les fidèles. Piteuse excuse ! Bienheureux trouble pourtant qui renverrait chacun à un approfondissement des données de sa foi, et donc de sa pratique et de son espérance. Mais le plus dur reste à faire. Jésus n’est plus là. Il reste à prolonger son travail !

Je vous avais prévenu : il faut consentir à désenchanter Noël, celui des contes pour enfants, celui dont nous avions l’habitude, pour renaitre ensuite en un être nouveau ! C’est notre souhait !

Jean
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1. Naissance de Jésus. (p.4.) Voir le document sous le titre « Identité de Jésus »

2. Mgr Jon Shelby Spong, évêque anglican américain, décédé en 1921, critique du fondamentalisme chrétien et défenseur d’une compréhension plus libérale du christianisme.

 

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