Mois: janvier 2022

Pour une révolution copernicienne dans l’église

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Vers une dé-clericalisation radicale

« Le rapport Sauvé, sans le dire explicitement, appelle à une révolution copernicienne de l’Église »

Si le célibat a renforcé la figure de l’évêque et du prêtre, il n’est en rien la clé de voûte du système clérical. Aussi, autoriser le mariage des prêtres ou l’accession des femmes à la prêtrise n’apportera aucun changement profond, estime Jacques Musset, ancien aumônier et essayiste, dans une tribune au «Monde».

Le 21 octobre, Danièle Hervieu-Léger, dont j’apprécie beaucoup les ouvrages, écrivait ici même que le célibat des prêtres était la clé de voûte du système clérical. Je préférerais  « qu’il n’en est qu’une des manifestations éclatantes », ce qui est très différent. En effet, ce système est né antérieurement à l’imposition du célibat chez les évêques et les prêtres. Il incluait déjà l’organisation cléricale de l’Église et sa doctrine dogmatique officielle, les deux étant intrinsèquement liées.

Le système clérical est apparu vers la moitié du II siècle de notre ère. Jusqu’alors, l’animation des communautés chrétiennes se faisait d’une manière collégiale par les presbytres (étymologiquement les anciens ou les anciennes, au sens de sages) et les épiscopes (des gens chargés de vérifier le bon fonctionnement communautaire). À ces deux fonctions, on était désigné par les membres de la communauté. Au II siècle, cette animation a été accaparée par une seule personne masculine : un épiscope. Ainsi est né l’épiscopat monarchique, tel qu’il existe toujours dans le catholicisme et l’orthodoxie.

Verrouillage datant du concile de Trente

Ces épiscopes (évêques), désormais chefs des communautés, ont pensé leur responsabilité à l’image du sacerdoce juif. Ils l’ont sacralisé et justifié en faisant appel à des textes évangéliques lus de manière littérale (Matthieu 16, 17-20 ; 18, 15-18, 28, 18-20 ; Luc 22, 14 ; Jean 20, 22-23) et interprétés comme une mission reçue de Jésus ressuscité lui-même, confiée d’abord aux apôtres puis à leurs successeurs, les évêques.

Or, nous savons très bien par les recherches exégétiques que ces textes ne sont pas des récits à prétention historique et qu’ils ne fondent pas un régime hiérarchique dans les communautés chrétiennes introduisant la division clercs-laïcs, les premiers disposant de tous les pouvoirs, les seconds ayant pour vocation de leur obéir en tout dans le domaine de leur vie spirituelle.

Ce n’est pas tout. Les évêques, en définissant la vraie foi chrétienne aux IV et Vème siècles dans les premiers conciles et en l’imposant dans toute l’Église au sein de l’Empire romain, qui l’a adopté à la fin du IV siècle comme religion officielle, bouclaient la boucle dans l’appropriation par l’épiscopat monarchique des trois pouvoirs exclusifs, tous sacralisés : l’enseignement et l’interprétation de la vraie foi, la présidence de l’eucharistie valide (puis des sacrements), le pouvoir de gouvernement et de coercition. L’imposition du célibat est venue ensuite par paliers successifs, et le verrouillage s’est terminé au concile de Trente, au XVI siècle.

Si le célibat a renforcé la figure de l’évêque et du prêtre comme personnage sacré, détenant des pouvoirs venant du Christ et de Dieu et intermédiaire obligé entre le ciel et les fidèles, il n’est ainsi pas la clé de voûte du système clérical, dont les éléments essentiels en précèdent l’apparition et la justification. En supposant que Rome autorise aujourd’hui le mariage des prêtres masculins et admette que les femmes peuvent désormais accéder à la prêtrise, rien ne serait changé fondamentalement dans le système, sinon que ce serait pour lui une chance supplémentaire de perdurer.

Réappropriation du témoignage de Jésus

En conséquence, la rénovation en profondeur du système catholique, tout à la fois clérical et dogmatique, passe par la nécessité de tout remettre à plat de l’existant. Les protestants ont fait la moitié du chemin à la Réforme, au XVI siècle, en abolissant le système clérical hiérarchique, mais en conservant le système dogmatique. Aujourd’hui, dans bien des Églises protestante et anglicane, un cheminement continue de se faire concernant l’abandon de la doctrine dogmatique figée au profit d’une réappropriation et de l’actualisation à nouveaux frais du témoignage de Jésus dans la modernité de notre temps.

Deux figures parmi d’autres sont emblématiques de cette démarche. L’une anglicane,

John Shelby Spong (1931-2021), un ancien évêque américain dont plusieurs livres, faciles d’accès, ont été traduits en français, notamment celui résumant sa démarche : Pour un christianisme d’avenir (Karthala, 2019).
L’autre, catholique, Joseph Moingt (1915- 2020), dont le dernier ouvrage testamentaire, L’Esprit du christianisme (Temps présent, 2018), introduit une décantation salutaire du catholicisme clérical et dogmatique démontrant par exemple qu’il n’est pas possible honnêtement de faire découler des textes évangéliques la doctrine officielle catholique. Sans qu’on lui jette officiellement l’anathème, il est plutôt regardé de travers dans sa propre Église. Si son livre peut être de lecture laborieuse pour certains, ses autres publications, rassemblant ses conférences, donnent une idée de la pertinence de sa pensée et de son courage.

Ce à quoi appelle le rapport Sauvé, sans le dire explicitement, c’est donc à une révolution copernicienne. Aura-t-on le courage de l’entreprendre ? Telle pourrait être la conclusion et l’encouragement du Synode romain sur la synodalité ! Mais j’en doute fort !
Alfred Musset

Source :

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/04/lerapport-sauve-sans-le-dire-explicitement-appelle-aune-revolution-copernicienne-de-leglise_6100877_3232.html

PS. Il ne faut pas aller très loin pour débusquer le cléricalisme. Un exemple frappant :

Lors de la Conférence des évêques à Lourdes où a été examiné par eux le Rapport sauvé, les évêques ont voulu manifester par un geste leur compréhension de l’évènement et leur demande de pardon. Tous les évêques à genoux sur le parvis de l’église, le président de la Conférence épiscopale française lors de ce temps pénitentiel, ce samedi matin 6 novembre 2021 a prononcé ses paroles qui resteront mémorables : « Ô Dieu pardonne-nous de n’avoir pas compris que le pouvoir que tu nous donnes demande une exemplarité sans failles… »
Au moment de s’incliner et de demander pardon, l’évêque parlant au nom de tous ses collègues s’adresse publiquement à Dieu en lui parlant du « pouvoir qu tu nous donnes » ! C’est énorme ! en même temps qu’il pose un geste de repentance, il affirme avec force que le pouvoir qu’il détient, c’est de Dieu en direct qu’il le tient !

On mesure l’énormité de la bourde. Mis est-ce vraiment une bourde, une erreur temporaire de langage ? Non, c’est leur langage habituel parce que c’est leur conviction habituelle ! Eric de Moulins-Beaufort le président, parle à Dieu du pouvoir que Dieu leur donne à eux tous, les évêques ! Le tableau est unique !
C’est l’affirmation même de cet être sacré que se reconnaissent les évêques et avec eux tout le corps sacerdotal, et cela depuis les premiers conciles. Dire ce que pense Dieu, agir selon ce que Dieu veut, se prétendre représentants de Dieu sur terre, voilà selon moi la racine du mal.

Nous sommes habitués à ces formules… « Le pouvoir que tu nous donnes »… Au fil des siècles, il s’est vécu des choses magnifiques au nom de ce pouvoir, il y en a eu aussi d’insupportables et d’abominables. La pédocriminalité ne vient-elle pas, comme un vrai séisme, mettre cette Église au pied du mur ? Et nous contraindre à poser des questions qui fâchent et qui peuvent faire très mal…

« Le pouvoir que tu nous donnes »… Qui peut s’arroger le droit de dire ce que Dieu pense, ce que Dieu est, ce que Dieu veut ? Qui peut prétendre agir au nom de Dieu ?

Alors Courage, les amis. On n’est pas sorti de l’auberge !

PS. Allez voir ce Site très bien documenté http://www.garriguesetsentiers.org/2021/11/aller-a-la-racine-urgence-et-necessite.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail


Et Augustin invente le péché originel au 5ème siècle !

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SAGA 1 / célibat / Augustin invente le péché originel

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Augustin engendre le concept de « péché originel »

L’histoire de la règle du célibat imposé dans l’église catholique romaine seulement, ressemble à un long chemin chaotique et pourrait même être classée comme un cas d’école d’une règle jamais vraiment acceptée par ceux qu’elle entendait régir. En effet si bien des historiens font remonter l’origine de cette règle imposée au deuxième concile de Latran en 1139, Pierre Pierrard, historien connu aujourd’hui décédé, raconte qu’au 15ème siécle 50 % des prêtres sont mariés et acceptés par le peuple. Cf. Site de Plein Jour http://plein-jour.eu , article : « Célibat ecclésiastique historique ».

Mais pour bien comprendre les efforts souvent vains pour imposer cette règle, rien n’est plus éclairant que de remonter l’histoire pour la situer dans cette ambiance d’hostilité au plaisir qui caractérisa très tôt certains « théologiens » et non des moindres, et qui eut une influence considérable sur la conception du mariage, sur l’image de la femme et sur le célibat imposé aux ecclésiastiques.
Aujourd’hui nous parlerons de cet homme contrasté, Augustin, mort en 430, qui fut marié plusieurs fois avant de devenir évêque d’Hippone (= Bône puis Annaba, ville située dans l’Algérie actuelle) en 396 : Jeune, il prit tout d’abord une compagne; il avait alors environ 16 ans; mais celle-ci ne plaisait pas à sa mère Monique qui lui en destinait une autre. Augustin pratiquait avec elle une contraception très sévère, n’ayant de relations qu’aux jours qu’il pensait infertiles. Malheureusement pour lui une erreur de calcul et patatras, voici un fils ; il avait 17 ans. Il le nomma Adeodat (donné à Dieu). Sa mère Monique, qu’on qualifie aujourd’hui de Sainte, c’est-à-dire modèle à imiter, fit tout pour l’amener à renvoyer cette compagne au motif qu’elle n’était pas de son rang. Augustin finit par céder et la renvoya après 13 ans de vie commune. Il en « éprouva, dit-il lui-même, une déchirante blessure » mais il garda l’enfant ! Cette femme partit en Afrique et lui promit de ne jamais plus connaître aucun autre homme, ce qui l’impressionna beaucoup. Monique lui destinait une épouse plus digne et plus riche mais malheureusement trop jeune encore. Augustin n’attendit pas et il se procura une seconde « maîtresse » comme il le dit lui-même [1] . Il fréquentait alors la secte des manichéens très répandue dans les milieux cultivés, qui préconisait l’ascèse à ses adeptes avec une caractéristique étrange : elle approuvait le plaisir mais refusait toute procréation ! La religion du perse Mani fut une des 3 grandes religions du moyen Orient avec le christianisme et l’Islam; elle prônait même pour certains un idéal de virginité, ce qui rejoignait étrangement la position de Ambroise, l’évêque de Milan, qui baptisa Augustin lorsqu’il décida de se « convertir » au christianisme vers 386.
Il prit alors un tournant à 180 degrés qui se traduisit par le refus du plaisir, la condamnation de toute contraception et l’approbation de la procréation mais… sans plaisir ! allez donc comprendre !  il pensait que l’acte conjugal peut conduire au péché mortel en cas de jouissance excessive :seul l’acte conjugal qui a en vue essentiellement – et même exclusivement – la procréation est sans faute. Cette conception fera bien des émules et jusqu’à notre époque. Ennemi juré du plaisir, il prescrivit l’abstinence pour tous les dimanches, les jours de fête, les périodes de carême, et d’une manière générale dans tous les temps de prière.
Ces prescriptions nous font sourire aujourd’hui mais nous verrons que, à d’autres époques, des évêques ont imposé ces mêmes prescriptions aux croyants. On peut se demander les raisons de cette schizophrénie sexuelle !
Le souvenir de son infidélité à sa première compagne lui causait de tels tourments que cela se traduisit par un mépris croissant de l’amour sexuel. Il avait mauvaise conscience de son attitude passée. Aussi il chercha pendant toute sa vie à comprendre ce qu’il prenait pour une défaillance personnelle. Il en trouva la cause non en lui-même mais dans le « péché originel », péché  commis par Adam et Eve et qui leur valut l’exclusion du paradis. Il interpréta ainsi les textes de la Genèse, premier livre de la Bible, en les prenant au pied de la lettre comme un fait historique, interprétation digne des intégristes. Magnifique excuse ! L’appellation « péché originel » est de son cru. Ce « péché » du premier homme Adam, il le fait retomber sur toute l’humanité. Ainsi, d’après lui, tout être humain naît en état de péché, et naturellement disposé à rechercher le mal. Et ce péché originel s’exprime notamment dans le désir sexuel, la libido, la concupiscence. On comprend qu’il se soit opposé  à d’autres chrétiens qui avaient au contraire une pensée positive sur la sexualité ! Manque de chance, ce sont ses idées qui sont restées comme étant la traduction véritable du message de jésus.  (Quelle erreur ce pessimisme sur la vraie nature des hommes ! )
Augustin fut un rhéteur. Ce mot ne nous dit pas grand chose aujourd’hui sauf pour ceux qui en philosophie ont fait de la « rhétorique » ! c’est l’art ou la technique de persuader, généralement au moyen du langage, par des arguments de raison. Aujourd’hui on parlerait d’orateur. Après les « manichéens » dont il avait un temps partagé la pensée, Augustin combattit les « pélagiens » qui au contraire avaient un avis très positif sur le plaisir sexuel qu’ils considéraient comme naturel; ceci déplut à Augustin qui en tira la conclusion que ces derniers refusaient donc de croire au péché originel. De fait cette conception d’un « péché d’origine » va empoisonner toute la théologie et jusqu’à nos jours.
Mais, en ce qui nous concerne et au delà de cette polémique, il est intéressant d’en savoir plus sur un certain Julien, brillant intellectuel issue de l’aristocratie « italienne » qui fut le meilleur défenseur des idées du moine ascète Pélage et à qui Augustin s’opposa jusqu’à le faire foutre en dehors de l’église (excommunier, dit-on dans le langage stylé). Julien était un prêtre marié, fils d’un évêque catholique de la corne sud-est de l’Italie actuelle. Son épouse, Titia, était la fille de l’évêque catholique Emile de Bénévent au Nord de Naples. Tout cela ne devait déjà pas plaire à Augustin ! Tout en restant marié d’ailleurs, Julien fut même nommé évêque d’Eclane (en Campanie) en 416. Augustin le combattit comme disciple de Pélage.
Restons-en là aujourd’hui mais ce dernier fait nous donne aussi une petite idée de ce qu’était la configuration normale du clergé de l’époque.

A suivre, si vous le voulez bien !